Les crises du capitalisme suite

Publié le par NPA REIMS

Les crises du capitalisme (2)

III - : Actualité de l'analyse marxiste par rapport à des débats contemporains.

Cf texte M. Husson, Le capitalisme après la « nouvelle économie » : http://hussonet.free.fr/mhz.pdf

Pour un certain nombre de théoriciens (dont certains se réclament du marxisme), les mutations du capitalisme contemporain rendraient caduques les principales analyses et catégories du marxisme, et notamment les théories de la valeur (c'est le travail humain qui est la seule source de création de valeur) et de l'exploitation.

Le biais de ces différentes approches consiste souvent à surestimer la nouveauté des phénomènes par rapport aux phases antérieures du capitalisme ; et à sous-estimer ce qui dans leur logique de fonctionnement les rattache aux mécanismes fondamentaux de celui-ci. Certaines de ces approches procèdent en effet d'une version caricaturale et tronquée de l'analyse marxiste.

A/ La « nouvelle économie » et le discours sur les nouvelles technologies

La longue phase de croissance et de remontée des taux de profits et de la productivité aux Etats-Unis au cours de la décennie 1990 a été souvent analysée comme l'annonce du dépassement de toutes les contradictions antérieures du capitalisme et d'une nouvelle phase d'expansion et d'accumulation durable.

a) D'où viennent les profits et les gains de productivité ? Critique du déterminisme technologique

Idée que le capitalisme avait trouvé dans les nouvelles technologie de l'information et de la communication une nouvelle source de productivité permettant de stabiliser le taux de profit à un niveau élevé tout en redistribuant une partie du produit, non plus sous forme de salaire mais de rémunérations financières. (Théorie du «capitalisme patrimonial » avancée par M. Aglietta).

Déterminisme technologique : Idée que la technologie décide de tout, détermine l'organisation sociale: puisqu'il y a des nouvelles technologies, il doit donc y avoir aussi plus de productivité, plus de croissance et plus d'emplois. Ce serait la base sur laquelle pourrait s'amorcer une nouvelle phase de croissance longue. Mais ce pronostic se heurte à deux incertitudes (outre la légitimité du modèle social, inégalitaire et régressif, associé à ces transformations du capitalisme).

-Sur la durabilité du phénomène aux Etats-Unis mêmes : s'agit-il d'un cycle high tech, limité dans le temps ? La diffusion des gains de productivité peut-elle gagner l'ensemble des secteurs ?

-Sur l'extension possible de ce modèle au reste du monde, dans la mesure où il repose sur la capacité particulière des Etats-Unis à drainer les capitaux en provenance du monde, en contrepartie d'un déficit commercial qui se creuse chaque année.

Or l'effondrement, le retournement de la « nouvelle économie » en 2001 provient, très classiquement, d'une baisse du taux de profit. Le surcroît de productivité a en effet été chèrement payé par un surinvestissement finalement coûteux, qui a conduit à une augmentation de la composition organique du capital, tandis que le taux d'exploitation finissait par baisser.

Enfin, sauf peut-être aux Etats-Unis, la « nouvelle économie » n'a pas qualitativement inversé une tendance historique de ralentissement de la productivité du travail. C'est sans doute là que se trouve la cause profonde qui empêche d'entrer dans une nouvelle onde longue expansive.

b) Réalité de l'intensification du travail

Une partie des « gains de productivité » résultent de méthodes très classiques d'intensification du travail. Les transformations induites par Internet (commande en ligne par ex.), n'ont qu'un rôle accessoire. Tout dépend de la chaîne d'assemblage, des circuits d'approvisionnement physiques avec le travail des salariés selon des horaires ultra-flexibles et l'intensification des réseaux d'approvisionnement. Dans les représentations dominantes du rôle de la technique, on a une sous-estimation systématique du rôle des processus réels de travail.

c) Réalité de la domination mondiale par l'économie états-unienne

Illusion aussi d'un modèle extensible au reste du monde = ignorance des spécificités de la nouvelle économie des Etats-Unis, reposant sur une forte consommation fondée sur l'endettement privé, et un boom technologique sous-tendu par un effort d'investissement soutenu. L'ensemble étant financé par les entrées de capitaux européens et japonais, sur la base d'une réaffirmation de la domination états-unienne. Possédant le dollar, l'économie états-unienne est en effet la seule qui puisse fonctionner indéfiniment à crédit par rapport au reste du monde. Cette configuration n'est ni harmonieuse ni stable car elle repose sur des déséquilibres structurels qui ne sont gérés que par des effets de domination.

Caractère inédit et fragile de la domination US : de manière inédite, l'impérialisme dominant n'est pas exportateur de capitaux et sa suprématie repose au contraire sur sa capacité à drainer un flux permanent de capitaux venant financer son accumulation et reproduire les bases technologiques de cette domination. Il s'agit donc d'un impérialisme prédateur, plutôt que parasite, dont la grande faiblesse est de ne pas pouvoir proposer un régime stable à ses vassaux (faiblesse croissance en Europe et au Japon).

Cf. théorisation erronée élaborée autour du concept d' « Empire ». (Hardt et Negri) : « Nous proposons le concept d'Empire pour désigner le dispositif global contemporain. L'Empire désigne avant tout la nouvelle forme de souveraineté qui a succédé à la souveraineté étatique : une forme de souveraineté illimitée, qui ne connaît plus de frontières ou plutôt qui ne connaît que des frontières flexibles et immobiles ». Or, en réalité réaffirmation des Etats-Unis comme puissance dominante et creusement des contradictions inter-impérialistes.

B/ Le « capitalisme cognitif » ou « immatériel » et l'économie de la connaissance

Pour certains auteurs, on assisterait à un autodépassement du capitalisme, sur la base de 4 grandes transformations dans la production : immatérialité, reproductibilité, indivisibilité, et rôle de la connaissance. Cela conduirait :

  • a) Disparition de la valeur travail

Les théories du « capitalisme cognitif » : versant « marxiste » des théories de la nouvelles économie. (idem Negri). Les nouvelles technologies rendraient obsolète la valeur-travail. La détermination de la valeur des marchandises par le travail socialement nécessaire à leur production ne correspondrait plus à la réalité des rapports de production. La connaissance deviendrait une nouvelle source de valeur distincte du travail. Or la théorie de la valeur n'est pas un simple calcul en temps de travail. Cf au contraire Marx, Grundrisse, : « Ce n'est ni le temps de travail, ni le travail immédiat effectué par l'homme qui apparaissent comme le fondement principal de la production de richesse ; c'est l'appropriation de sa force productive générale, son intelligence de la nature et sa faculté de la dominer, dès lors qu'il s'est constitué en un corps social ; en un mot, le développement de l'individu social représente le fondement essentiel de la production et de la richesse».

Cf aussi « L'accumulation du savoir, de l'habileté ainsi que de toutes les forces productives générales du cerveau social sont alors absorbées dans le capital qui s'oppose au travail : elles apparaissent désormais comme une propriété du capital, ou plus exactement du capital fixe ».

Idée que le capital a de la faculté de s'approprier les progrès de la science (ou de la connaissance) pas nouvelle dans le champ du marxisme.

L'une des caractéristiques intrinsèques du capitalisme, la source essentielle de son efficacité, a toujours résidé dans cette incorporation des capacités des travailleurs à sa machinerie sociale. Le capital, explique Marx , « donne vie à toutes les puissances de la science et de la nature, comme à celles de la combinaison et de la communication sociales pour rendre la création de richesse indépendante (relativement) du temps de travail qui y est affecté ».

C'est en ce sens que le capital n'est pas un parc de machines ou d'ordinateurs en réseau, mais un rapport social de domination.

b) Importance des services et biens immatériels : n'en sont pas moins des marchandises. Comme le capital, la marchandise dans la théorie marxiste n'est pas définie par une chose matérielle mais comme le support d'un rapport social. Est marchandise ce qui, matériel ou non, est vendu comme moyen de rentabiliser un capital.

c) Une contradiction fondamentale du capitalisme

La reproductibilité et l'indivisibilité d'un nombre croissant de biens et de services (logiciels, biens culturels, médicaments) remettent en cause leur statut de marchandises.

Le capitalisme contemporain se caractérise, dans un nombre croissant de secteurs, par une structure de coûts particulière :

-une mise de fonds initiale importante et concentrée dans le temps, où les dépenses de travail qualifié occupent une place croissante.

-une dévalorisation rapide des investissements qu'il faut donc amortir et rentabiliser sur une période courte.

-des coûts variables de production ou de reproduction relativement faibles ;

-la possibilité d'appropriation à peu près gratuite de l'innovation ou du produit (logiciel, oeuvre d'art, médicament, information, etc.).

En résumé, ces marchandises nécessitent un investissement de conception très lourd, mais leur production est ensuite presque gratuite.

Or, celà entre en contradiction avec la logique de rentabilisation du capital, en raison d'une autre véritable nouveauté. Dans la mesure où les nouvelles technologies introduisent une telle logique, elles apparaissent comme contradictoires avec la logique marchande capitaliste.

Pour valoriser cette forme de capital, il faut paradoxalement limiter temporairement la diffusion de ce qu'il a permis de mettre au point, ou alors en réglementer l'accès. C'est-à-dire de limiter avec des moyens juridiques (brevets, droits d'auteur, licence, contrats) ou monopolistes, la possibilité de copier, d'imiter, de « réinventer », d'apprendre les connaissances des autres ».

Il ne faut pas y voir l'émergence d'un nouveau mode de production, mais le creusement d'une contradiction absolument classique entre la forme que prend le développement des forces productives (la diffusion gratuite potentielle) et les rapports de production capitalistes qui cherchent à reproduire le statut de marchandise, à rebours des potentialités des nouvelles technologies.

Cf Marx sur cette contradiction majeure du capital : « D'une part, il éveille toutes les forces de la science et de la nature ainsi que celles de la coopération et de la circulation sociales, afin de rendre la création de richesse indépendante (relativement) du temps de travail utilisé pour elle. D'autre part, il prétend mesurer les gigantesques forces sociales ainsi créées d'après l'étalon du temps de travail, et les enserrer dans les limites étroites, nécessaires au maintien, en tant que valeur, de la valeur déjà produite. Les forces productives et les rapports sociaux - simples faces différentes du développement de l'individu social - apparaissent uniquement au capital comme des moyens pour produire à partir de sa base étriquée. Mais, en fait, ce sont des conditions matérielles, capables de faire éclater cette base. »

C/ La fin du travail et le post-salariat.

Autre face du déterminisme technologique : idée que l'ampleur des innovations et des gains de productivité rendraient de plus en plus superflu le recours massif au travail humain, notamment sous sa forme salariée. (fin du travail , dépassement du salariat : Gorz, Méda Rifkin).

Si la montée du chômage était le produit direct de mutations technologiques et de changements radicaux dans l'organisation du travail, on aurait dû au contraire observer une accélération de la productivité du travail dans les années 1980 et 1990.

L'explication de la baisse du rythme de créations d'emploi doit être imputé à deux inflexions : d'une part, un recul du volume de travail qui résulte lui-même d'un ralentissement de la croissance un peu plus marqué que celui de la productivité et, d'autre part, une moindre réduction de la durée du travail.

D/ Le fétichisme de la finance

Représentation d'une finance autonomisée par rapport au reste du capitalisme, ou parasite par rapport à lui, fausse. (Idée que le taux de profit augmenterait effectivement, mais il serait grignoté par le capital financier, de telle sorte que le « vrai » taux de profit resterait insuffisant.)

a) Chez les apologistes du capital, illusions de la « nouvelle économie » ou de la propagande en faveur des fonds de pension : création de valeur par la finance : illusion de pouvoir s' « enrichir en dormant ». Dans le mouvement altermondialiste, illusion symétrique d'un capitalisme financiarisé, de mouvements des flux financiers largement autonomes et déconnectés de la sphère réelle (travail, production et échanges de marchandises). Illusion déjà identifiée par Marx dans le Livre 2 du Capital comme relevant du « fétichisme de la finance ».

b) la nature de l'intérêt : Marx analyse le partage du profit entre intérêt et profit d'entreprise. La plus-value, à l'origine du profit, se réparti en effet entre capital financier et capital industriel. L'intérêt est al clef de cette répartition (qui dépend des rapports de forces entre différentes fractions du capital). Il ne constitue donc pas le « prix du capital » ou sa rémunération (le capital n'étant pas productif en lui-même, à l'encontre de l'économie dominante qui en parle comme d'un "facteur de production »).

c) Le phénomène de la financiarisation : la valorisation des titres financiers ne Bourse ne peut s'effectuer que sur la base d'une ponction opérée sur la plus-value produite. Leur augmentation est donc limitée, comme le montre la récurrence des krachs boursiers, qui ne sont que des rappels de la loi de la valeur.

d) La croissance de la sphère financière et des revenus qu'elle procure, n'est possible qu'en proportion exacte de l'augmentation de la plus-value non accumulée, et l'une comme l'autre admettent des limites. On n'a pas non plus d'un côté un bon capitalisme productif et de l'autre un mauvais capitalisme financier, comme dans certaines présentations d'un keynésianisme sommaire. Le capital financier ne peut en effet exister qu'en proportion de l'exploitation des travailleurs dans la sphère productive.

C'est pourquoi les marchés financiers réagissent négativement à toute annonce de baisse du chômage ou de progression salariale.

e) Ne pas se tromper sur le sens de la causalité :

La valeur est créée préalablement à sa répartition, et c'est la raréfaction de lieux d'accumulation rentable qui engendre la redistribution de plus-value sous forme de revenus financiers, et non la finance qui s'oppose ou se substitue à l'investissement productif. La sortie de la phase régressive se heurte ainsi à des obstacles bien plus fondamentaux que le parasitage financier qui doit plutôt être considéré comme un symptôme de ces difficultés.

Conclusion : Actualité et immédiateté de l'anticapitalisme.

Ces modalités « radicales » du fonctionnement contemporain du capitalisme ont pour effet de radicaliser toutes les luttes sociales, puisque toute demande, même très « réformiste » se heurte immédiatement à une fin de non-recevoir. L' « antilibéralisme » conséquent débouche donc très vite sur un anticapitalisme concret.

Publié dans Formation

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